La malédiction des e-mails

La malédiction des e-mails

Je me souviens…

Je me souviens de l’apparition de l’e-mail. La connexion internet étaient alors facturée à la minute. On prenait le temps d’écrire son message localement sur son ordinateur, puis l’on se connectait rapidement à internet, on faisait CTRL+C puis CTRL+V, et le message était expédié.

Le destinataire se connectait généralement dans la journée, récupérait le message tout auréolé de la magie de cette nouvelle technologie. La discussion e-mail était lancée.

La chose était encore relativement lente. La réception d’un e-mail restait un petit événement, même si cela n’avait déjà plus rien à voir avec la vieille lettre postale. Derrière les formidables avantages de cette révolution technologique, on perdait un peu plus encore de ces temps longs de l’attente, ces inerties qui favorisaient l’intériorisation et l’imagination, qui respectaient les transformations internes de l’homme et entretenaient le mystère. L’e-mail est à la lettre ce que la carriole est à l’avion, comme l’évoque St Exupéry dans la « Lettre au Général X » en 1940 :

« J’ai découvert la carriole et le cheval. Par elle, l’herbe des chemins. Les moutons et les oliviers. Ces oliviers avaient un autre rôle que celui de battre la mesure derrière les vitres à 130 kilomètres à l’heure. Ils se montraient dans leur rythme vrai qui est de lentement fabriquer des olives. Les moutons n’avaient pas pour fin exclusive de faire tomber la moyenne. Ils redevenaient vivants. Ils faisaient de vraies crottes et fabriquaient de la vraie laine. Et l’herbe aussi avait un sens puisqu’ils la broutaient ».

La révolution silencieuse

Mais l’e-mail n’a pas remplacé uniquement la lettre postale. C’est aussi toute la communication interne de l’entreprise qui s’est trouvée chamboulée. Naguère, quand on avait besoin de discuter avec le comptable, on se déplaçait dans son bureau, ou on lui téléphonait sur le réseau interne de l’entreprise.  La relation était visage à visage, ou voix à voix. Dans les deux cas, il y avait bien plus que du contenu informationnel. La forme d’un visage ou d’une voix venait entourer le contenu pour le nuancer. Et puis, on ne délivrait jamais le message d’un bloc ; on l’apportait progressivement, en s’ajustant aux réactions de son interlocuteur.

« Entre ce que je pense, ce que je veux dire, ce que je crois dire, ce que je dis, ce que vous voulez entendre, ce que vous entendez, ce que vous croyez en comprendre, ce que vous voulez comprendre, et ce que vous comprenez, il y a au moins neuf possibilités de ne pas se comprendre », dit Bernard Werber.

On voit combien l’e-mail, par sa vitesse de transmission qui supprime les inerties, par son format d’écriture et de lecture rapide (car on en reçoit en quantité), multiplie les chances de ne pas être compris.

« Entre ce que je pense, ce que je veux dire, ce que je crois dire, ce que je dis, ce que vous voulez entendre, ce que vous entendez, ce que vous croyez en comprendre, ce que vous voulez comprendre, et ce que vous comprenez, il y a au moins neuf possibilités de ne pas se comprendre ».

Bernard Werber

Surtout, il est devenu le grand moyen pour se déresponsabiliser. Combien ai-je vu défiler d’e-mails envoyés au plus grand nombre, contenant de l’information insuffisamment traitée ? On espère vaguement qu’une bonne âme s’en saisisse et les traite en partie à notre place. On espère tout du moins se décharger d’une part de responsabilité en les partageant à d’autres. C’est tellement facile de « mettre en copie » et de cliquer sur « envoyer ». On ne pourrait procéder ainsi avec les personnes en face, en chair et en os. 

Ah, si l’on pouvait prendre conscience des dommages provoqués par ces petit e-mails envoyés si rapidement !

Côté émetteur on l’a vu, c’est la déresponsabilisation progressive. Multipliez les « pratiquants » et leurs e-mails, et cette déresponsabilisation se généralise. L’e-mail devient un paravent derrière lequel chacun vient créer sa petite île d’où sont renvoyées au plus loin les contraintes du quotidien. Il génère irritations et tensions. Il génère une spirale de déresponsabilisation, de perte de motivation, perte de performance, etc.

Oh bien sûr, l’e-mail n’est qu’un outil inoffensif en soi, dont l’utilisateur est pleinement responsable. Il n’est pas non plus le seul sur la liste des outils « à risques » pouvant générer des dérapages. Il me paraît cependant être représentatif de cette contre-dynamique qui génère des entreprises molles, peu mobilisées, peu réactives.

Le dirigeant 4.0

Une attitude responsable, une attitude de leader privilégie toujours un contact multi-sensoriel. Elle recherche un visage, une voix pour poser une parole juste et compréhensible. Elle prend le risque de la confrontation. Elle s’engage de toute sa personne, énergiquement. Dans le monde 4.0, il est urgent de reconsidérer notre relation en entreprise. Une relation impulsée une fois encore par le dirigeant. C’est le dirigeant qui insuffle l’esprit et la culture d’entreprise qui, en théorie, devrait se retrouver dans l’organisation et le choix des outils.

Une attitude responsable, une attitude de leader privilégie toujours un contact multi-sensoriel. Elle recherche un visage, une voix pour poser une parole juste et compréhensible. Elle prend le risque de la confrontation. Elle s’engage de toute sa personne, énergiquement.

Le management rigide fondé sur l’autorité, qui fonctionnait encore début XXe, n’est plus efficace aujourd’hui. La crise amorcée à la fin des années 60 a profondément endommagé l’autorité dans notre société.  Les figures de pouvoir – politiques, militaires ou entrepreneuriales – sont tombées de leur piédestal. L’accroissement de l’individualisme mais aussi de l’instruction ont opéré une transformation radicale des mentalités, dès lors peu enclines à accepter des normes trop rigides.

Le commandement – politique, militaire ou entrepreneurial – doit aujourd’hui s’arrondir pour éviter la désaffection dans les équipes ; sans toutefois perdre sa verticalité pour garantir la performance.

L’autorité étant mise à mal, le commandement n’a d’autre solution que de renforcer ses 2 corollaires : la légitimité – pour être crédible – et la persuasion – pour inspirer confiance.

Au quotidien, il semble donc désormais nécessaire de multiplier les actions de persuasion. La communication verbale devient un outil indispensable de légitimation du leader dans l’exercice de ses fonctions et l’accomplissement des missions qu’il confie à ses équipes ; une communication qui doit aller dans les deux sens (concertation, voire négociation avec les collaborateurs) pour que le réservoir de respect et d’estime de chacun soit toujours rempli, qu’ils aient ainsi du cœur à l’ouvrage et restent performants.

Dans cette perspective, le dirigeant n’aurait d’autre choix finalement que de devenir un être aujourd’hui rare : exemplaire, empathique et charismatique.

On voit la dérive possible d’une telle exigence : le développement d’une culture de séduction et de sophisme qui, on le sait par expérience, va toujours à l’encontre du bien-commun. Soyons honnêtes : en beaucoup d’endroits de notre vie, nous y sommes déjà.

Le contrepoids se trouve sûrement dans la communication non verbale ; dans une attention renouvelée au corps social et aux personnes. A trop supprimer les inerties à coups de révolutions technologiques, on a perdu le cœur de l’homme. Ce cœur n’est pas à alimenter avec du haut-débit, mais à nourrir délicatement par touches harmonieuses et quotidiennes. La véritable performance ne peut exister sans ce cœur. Ne dit-on pas « mettre du cœur à l’ouvrage ? »

A trop supprimer les inerties à coups de révolutions technologiques, on a perdu le cœur de l’homme. Ce cœur n’est pas à alimenter avec du haut-débit, mais à nourrir délicatement par touches harmonieuses et quotidiennes. La véritable performance ne peut exister sans ce cœur.

Ce cœur a besoin d’un conditionnement qui lui murmure des choses de la terre et du ciel, davantage que des lignes droites « épurées » monochromes en béton ou en plastique. Il a besoin aussi de sentir l’esprit oublié du village d’autrefois, où chacun se connaissait et partageait davantage que des relations intéressées. Le délitement des rituels et des traditions a accéléré l’individualisme et l’indifférence… et l’émergence de thérapeutes en tous genres.

Le business prenant toujours davantage le pas sur l’homme, il serait judicieux de sociabiliser l’entreprise en y semant l’esprit du village ; en convoquant et en inventant de nouvelles traditions, propres à redonner à chacun sa dignité. Alors sûrement, réapparaîtrait l’esprit de corps. Et l’attention ne serait alors plus axée sur le dirigeant, mais répartie sur le corps entier de l’entreprise. Les tensions légitimes entre le donneur d’ordre et les exécutants se retrouveraient détendues et diluées par la vie bourdonnante et compensatrice du corps. Observons le grand exemple de la permaculture, où les essences judicieusement juxtaposées s’apportent mutuellement assistance et permettent l’harmonie globale.

Il me semble que le dirigeant 4.0 est un leader à la fois légitime par son ingénierie entrepreneuriale, et persuasif par son sens philosophique dépassant le business ; il est un maître d’équilibre entre l’écosystème interne de l’entreprise et son environnement ; il construit sur les inerties profondes pour déployer la synergie.

Avec un tel dirigeant, gageons que l’e-mail prendrait de plus en plus la poussière et que l’on se rendrait au bureau en sifflotant.

Top-down et bottom-up

Top-down et bottom-up

L’éternelle distinction

Je n’aime pas les anglicismes, mais certains ont malheureusement envahi l’espace professionnel et sont devenus incontournables. Top-down ou la vision de l’aigle qui voit toute chose d’en haut, dans l’éther immaculé parfois trop théorique. Bottom-up ou le savoir-faire pragmatique qui grimpe par itérations, sans forcément percevoir quelque chose derrière les nuages.

Top-down ou la vision de l’aigle qui voit toute chose d’en haut, dans l’éther immaculé parfois trop théorique. Bottom-up ou le savoir-faire pragmatique qui grimpe par itérations, sans forcément percevoir quelque chose derrière les nuages.

Simplifions, au risque d’être caricatural. En haut le monde des idées. En bas celui des savoirs faire. En haut les artistes, les rêveurs et les nomades. En bas les techniciens, les « concrétistes » et les sédentaires.

Deux extrêmes d’une même histoire humaine. Correspond-elle, par un lien plus ou moins direct, à deux types de tempéraments physiologiques ( parmi colérique, mélancolique, sanguin et flegmatique) ? Serait-on destiné à être bottom-up ou top-down, fonction d’une nature reçue au berceau ?

Le corps de l’entreprise

L’entreprise détient, avec ses employés, un large éventail de tempéraments, pas forcément décelables au premier coup d’oeil derrière les postes de travail très conventionnels. Il faut parfois attendre la sortie du CE aux sports d’hiver pour voir Michel-le-comptable sortir du bois et s’afficher comme le meneur incontesté de la petite équipée. L’organigramme, les procédures, la culture d’entreprise, peuvent brider des personnalités s’ils sont mal configurés.

Cet éventail est une richesse si l’entreprise est considérée comme un corps avec ses différents membres, chacun avec son talent spécifique mais aussi complémentaire. Il est une richesse si l’on configure l’entreprise en respectant le talent de chaque membre, pour viser l’épanouissement global ; pour viser la synergie où 1+1=3. Il est par contre un fardeau si l’on absolutise le dispositif et que l’on s’emploie au quotidien à y faire rentrer au chausse-pied les personnalités aux talents divers.

Top-down et bottom-up, loin d’être opposés, sont les extrémités d’un même corps, aussi nécessaires l’un et l’autre. Leur articulation n’est pas triviale cependant ; mais complexe, comme le suggèrent la distance et la densité du corps entier qui les sépare. On est souvent tentés aujourd’hui, dans une vision très simplificatrice, de linéariser et égalitariser à outrance. On est tenté de décortiquer et de mettre tous les membres du corps dans un même sac, dans une de ces nombreuses boîtes à idées qui pullulent dans de nombreuses entreprises. Combien d’exemples d’entreprises qui ne donnent plus vraiment l’image d’un corps, mais d’une masse informe et liquide, où vont et viennent les employés dans des turn-overs toujours plus rapides.

Le réel est magnifiquement complexe, d’une complexité savante, organisée, priorisée. A rebours des « transversalismes » et collégialités à la mode, l’expérience du réel ne cesse de nous montrer un ordre. La tête et les pieds ont même valeur ontologique : sans les pieds la tête ne peut mettre le corps en marche, sans la tête les pieds ne savent où aller. Mais on ne peut les aligner. La tête a la priorité, c’est elle qui ordonne aux pieds et à tout le corps. Consciente de sa responsabilité, elle prend soin à tout moment d’écouter les informations du terrain renvoyées par les pieds – et des autres membres – pour que ses ordres respectent le bien du corps entier et son environnement.

Cette vision du corps entier et de son ordre est celle des vrais leaders.

Le vrai leader

Le vrai leader voit l’ordre à travers le monde. Là où d’autres voient juxtaposition, eux voient ordonnancement. Là où d’autres voient succession aléatoire, eux voient trajectoires. Plus que cela encore, le vrai leader entrevoit le grand méta-modèle derrière le monde, où les principes vitaux des corps et leur environnement sont inter-reliés.

Le vrai leader sait l’impact des petites choses, d’un regard ou d’un geste, venant de lui-même ou d’un autre. Il voit les conséquences à long terme là où d’autres ne voient que peccadilles indignes d’intérêt, évacuées dans un nonchalant « Il faut de tout pour faire le monde », prémisse du « Tout va très bien madame la marquise ». Les vrais leaders sont de plus en plus remplacés par des gestionnaires qui juxtaposent sans voir, qui multiplient les réunions sans conviction.

Le vrai leader sait l’impact des petites choses, d’un regard ou d’un geste, venant de lui-même ou d’un autre. Il voit les conséquences à long terme là où d’autres ne voient que peccadilles indignes d’intérêt, évacuées dans un nonchalant « Il faut de tout pour faire le monde », prémisse du « Tout va bien madame la marquise ».

Top-down et bottom-up s’inscrivent finalement dans cette dialectique un peu trop simplifiée avec laquelle on a tendance à envisager le réel en général, et l’entreprise en particulier. Ils mettent particulièrement en évidence la déliquescence du leader, dont on remplace l’impulsion galvanisante et fédératrice par des règles de management.

Espérons la renaissance de cet esprit qui a forgé les entreprises vigoureuses. Des entreprises qui traversent le temps comme des bateaux traversent les mers, avec des chefs d’entreprise qui sont des capitaines, et des collaborateurs qui sont des équipiers.

Le dernier pourquoi

Le dernier pourquoi

Quel est votre besoin ?

C’est presque inéluctable. Lorsque je rencontre un client et m’enquiers de son besoin, il a toujours du mal à répondre. Le client – comme nous tous – est conditionné par son contexte ; contexte professionnel en l’occurrence, mais c’est valable aussi pour la vie personnelle. Un contexte dans lequel on finit par s’engluer au fil du temps.

L’œil neuf et critique du nouvel arrivant perd jour après jour de son objectivité : il s’éloigne toujours davantage des hauteurs du « pourquoi » pour descendre vers les innombrables « comment » qui jonchent le quotidien et ses habitudes.

– Quel est votre besoin ? Il est ardu de se décoller des procédures qui nous entourent, de récupérer un peu de fraîcheur métaphysique. Avec le temps, le « pourquoi » s’estompe dans les salles de réunion ; on tente timidement de le récupérer autour de la machine à café ; mais la machine productive avance, inéluctablement, vers le « comment ». Elle roule à force de « data » marketing et concurrentielles, elle roule à force de projets qui en appellent d’autres – mais qu’est-ce qu’un projet ? -, elle roule en réaction épidermique aux stimulation du business. Il y a de fait une certaine violence dans cette machine.

Avec le temps, le « pourquoi » s’estompe dans les salles de réunion ; on tente timidement de le récupérer autour de la machine à café ; mais la machine productive avance, inéluctablement, vers le « comment ».

– Quel est votre besoin ? Il ne s’agit pas non plus de quitter l’entreprise pour se faire ermite. Il ne s’agit pas de balayer le contingent pour se connecter à l’eau pure philosophico-spirituelle : nous ne sommes pas des anges, et notre condition humaine passe par la pesanteur de la terre.

Pour autant, il est nécessaire de tenir les deux. Et c’est un grand principe d’équilibre : un équilibre toujours instable qui fait de nous des éternels funambules du quotidien. Rien n’est jamais acquis. Il est nécessaire donc de prendre de la hauteur sur les contingences, de casser le sacro-saint plafond de verre procédural pour relier l’entreprise au corps palpitant de l’humanité.

Un vrai patron d’entreprise est à la fois une tour et un pont. Il est une tour pour discerner sa mission et orienter solidement l’entreprise. Il est aussi un pont pour relier l’entreprise au corps social et le servir. Le vertical et l’horizontal. Les deux conjugués. Voilà ce qui fonde le véritable leadership.

Un vrai patron d’entreprise est à la fois une tour et un pont. Il est une tour pour discerner sa mission et orienter solidement l’entreprise. Il est aussi un pont pour relier l’entreprise au corps social et le servir. Le vertical et l’horizontal. Les deux conjugués. Voilà ce qui fonde le véritable leadership.

Une affaire d’âme

– Quel est votre besoin ? L’aventure entrepreneuriale devrait être d’abord une affaire d’âme, une question à régler avec l’éternité. Seule l’âme entraîne vers les hauteurs et la pérennité. L’entreprise laissée aux considérations du seul marché de consommation ne tient que par la résistance – limitée – des nerfs du travailleur qui, pour retrouver un certain équilibre dans ce travail dévoyé, consulte coachs et thérapeutes en tous genres.

– Quel est votre besoin ? Le bon consultant a suffisamment d’âme et de discernement pour faire émerger la tour et le pont, pour aider le dirigeant et ses équipes à se positionner à l’intersection des deux.

Le bon consultant recherche toujours ce dernier pourquoi, niché dans ce firmament qui conjugue la tour et le pont.

Le bon consultant est toujours insatisfait, parce qu’il montre d’abord un horizon inspirant avant de proposer une solution toujours limitante.

Le bon consultant vient éclairer avec son « pourquoi » pour façonner inlassablement un « comment » toujours évoluant, au service de l’entreprise et de sa mission.

Stratégie

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